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Said BOUAMAMA
Said BOUAMAMA
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1 mai 2007

Émigration clandestine. Le grand déballage

Deux migrants sub-sahariens,
non loin de Sebta,
en septembre 2005 (AFP)

Au moment où de nouvelles victimes s'entassent au large, Rabat invite Africains et Européens à faire le point sur l'émigration clandestine. Un authentique casse-tête.


De 50 à 70 Subsahariens ont tenté, lundi 3 juillet, un nouvel assaut (le premier depuis le drame de l'automne 2005) sur la triple frontière ceinturant Melilia. Bilan : 3 morts. Le même jour, deux embarcations ont échoué au large de Laâyoune. Bilan, plus lourd : 26 morts. C'est dans ce climat morbide que s'ouvre, lundi 10 juillet à Rabat, une méga conférence ministérielle, euro-africaine, avec 57 pays autour de la

table. Objectif affiché à Bruxelles, par le premier ministre, Driss Jettou : faire du Maroc une tête de pont africaine en matière de lutte contre l'émigration. Une conférence parallèle, sur le même sujet, s'est tenue les vendredi et samedi derniers à Harhoura, réunissant 150 ONG altermondialistes. Il en ressort que la politique sécuritaire menée de concert avec l'Union européenne, nous mène droit dans le mur. Raisons invoquées : des frontières militarisées (autour de Melilia par exemple), des émigrés traités comme des sous-hommes et pris pour des criminels. “En bref, explique l'expert ès émigration, Mehdi Lahlou, nous acceptons de faire le sale boulot, en amont, à la place de l'Europe et cela nous coûte humainement très cher”. Face à cette logique du “tout ou rien”, les officiels marocains préfèrent la stratégie du step by step (pas à pas). “Au lieu de la confrontation, nous voulons amener les Européens à faire des concessions à terme”, déclare, confiant, Youssef El Amrani qui pilote la grand-messe de Rabat. Traduisez, le Maroc montre patte blanche en espérant un retour sur investissement. À voir.

Jusqu'où ira le Maroc ?

L'ombre de Melilia plane sur la conférence de Rabat. Depuis, le Maroc a mis les bouchées doubles. Les chiffres sont éloquents : “Le nombre de candidats à l'émigration clandestine a enregistré une baisse de 48% pour les nationaux et 65% pour ceux originaires de pays tiers par rapport à la même période en 2005”, lit-on dans un document officiel du ministère de l'Intérieur. Cette réduction drastique des partants a été possible, selon Khalid Zerouali, directeur de l'Immigration et du Contrôle des frontières, “grâce au ciblage des réseaux mafieux de passeurs et autres rabatteurs (décidé par les ministres de l'Intérieur de la région à Nice), aux 4500 agents des forces auxiliaires postés à tous les points de passage mais aussi grâce aux associations qui font un travail de dissuasion sur le terrain”.

Que cachent ces chiffres impressionnants ? Qu’il y a des malheureux comme Moussa le Malien, victime des tirs de garde-frontières et obligé de se faire amputer la jambe (aux frais de l'Etat marocain, soit dit en passant). Que “certains Africains, quoique détenteurs d'une carte de réfugié politique, n'en ont pas le statut sur le sol marocain”, déplore Lucile Daumas d’Attac Maroc. “C'est une astuce de passeurs, note Khalid Zerouali. Ils leur disent d'aller au HCR pour qu'on ne les embête plus. Mais que va faire un demandeur d'asile politique aux frontières des présides espagnols ?”, note-t-il avec circonspection. Tout le drame est là. Le Maroc devient une grande salle d'attente, pour un meilleur départ. Dans l'intervalle, a-t-on le droit de laisser ces Subsahariens à la merci de mafias locales, sans papiers ? Motus et bouche cousue. Le Maroc officiel a un seul argument : “Montrer aux Européens que ces gens émigrent pour des raisons économiques, non politiques, pour qu'ils prennent conscience que la responsabilité est partagée”.

Entre-temps, le Maroc évite l'irréparable. Pas de camps de détention. Même si au lendemain de la crise de Melilia, des ONG ont pointé du doigt des centres suspects à Tanger et Guelmim, les autorités sont catégoriques : “Cela ne fait pas partie de nos méthodes”. En refusant d'ouvrir cette brèche, le Maroc se permet de négocier une clause très gênante : la réadmission des Subsahariens, passés par son territoire et refoulés par l'UE. “Nous en sommes au 8ème round mais nous ne voyons pas pourquoi nous, plus qu'un autre pays par lequel l'émigré aurait également transité, accepterions ce fardeau”, explique Khalid Zerouali. Sauf que, selon Mehdi Lahlou, le fait même d'accepter de négocier ce volet prouve que le Maroc se met trop sur la défensive. “Or, de quoi parlons-nous ? Sur les 500 000 migrants qui arrivent en Europe par an, à peine 5% traversent le détroit. En plus, dans son dernier rapport sur l'immigration, l'ONU a prouvé que c'est l'Afrique qui finance l'Europe, non l'inverse. Alors, il n'y a pas de quoi se faire petit”. Irréfutable sur le principe mais le Maroc officiel a la tête ailleurs. A la place des 40 millions d'euros, promis depuis trois ans, en nature (véhicules, radars), le Maroc vient de décrocher, en reconnaissance de ses bons et loyaux services, 70 millions d'euros en ligne budgétaire. Pas de quoi pavoiser, lorsqu'on sait que l'Espagne en a obtenu 850 et que pour la seule année 2005, la lutte contre l'émigration a coûté au Maroc la bagatelle de 92 millions d'euros.

Que propose l'Europe et que peut l'Afrique ?
Dans le document confidentiel devant donner lieu à un plan d'action (incha Allah) à la fin de la conférence, la seule concession concrète faite par les Européens, est la réduction des coûts de transferts de devises des travailleurs émigrés. Atteignant les 150 à 160 milliards d'euros annuellement, cette manne est même perçue par certains membres nordiques de l'UE comme une solution de rechange à l'aide au développement qu'ils doivent débourser, à hauteur de 0,7% selon l'OCDE (Organisation de coopération et développement économique). Que nenni, ils limitent leur apport au taux insignifiant de 0,2%. L'ONU, pour sa part, estime que l'Europe devrait accueillir d'ici 2025, pas moins de 15 millions d'immigrés pour faire face à la diminution drastique de sa population active. Qu'à cela ne tienne, les pays européens s'attellent, à l'instar de la France, à mettre en place des mécanismes d'attrait de migrants “choisis et non subis”. Quant aux fonds alloués, dès 2007, les 70 millions d'euros officiellement prévus iront au rapatriement des indésirables. On est loin du plan Marshall rêvé par l'ex-ministre de l'Intérieur, El Mostapha Sahel, au lendemain de la crise de Melilia.

En face, les Africains sont réduits, à l'instar de la Libye, à gérer des camps de réfugiés délocalisés. Désireux de blanchir son image, Kadhafi a accepté que l'Italie finance 35 à 45 centres (inhumains) de tri. D'ailleurs, 2200 Marocains y seraient en détention. Les Mauritaniens ont également accepté l'ouverture d'un camp à côté de Nouadhibou. Le Sénégal, dorénavant point de départ des clandestins (même si les îles Canaries sont à 1400 km), est sommé par Madrid de signer un accord de réadmission des Subsahariens ayant transité par son territoire. Bref, l'Europe resserre l'étau autour des Africains. Les frontières sont de jour en jour repoussées vers le Sud. Et de quoi parle l'Europe pour éviter l'implosion sociale dans les pays d'origine ? De projets de développement saupoudrés sur “les routes migratoires” et de partenariats universitaires pour favoriser davantage la fuite des cerveaux. C'est l'impasse, quoi
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